Le tour du monde à l'ancienne de Jean-Luc Van Den Heede : inutile, et tellement utile
22 Février 2019 , Rédigé par F.S Publié dans #l'évènement, #voyage - voyage...
Le 29 janvier dernier, après 211 jours, 23 heures, 12 minutes et 19 secondes, Jean-Luc Van Den Heede, 73 ans, a bouclé le tour du monde à la voile, sur les traces du Golden Globe de 1968, c'est-à-dire sans moyens de communications modernes, sans ordinateurs ni GPS, sans pilote automatique. Au sextant, à la barre, à la force des bras, bref : "à l'ancienne". 18 marins avaient pris le départ du Golden Globe Race le 1er juillet 2018 - déjà dans une quasi indifférence générale, tout le monde trop occupé par la planète foot - ils n'étaient plus que 5 lorsque "VDH" (son surnom) a coupé la ligne aux Sables-d'Olonne, après de multiples abandons, certains pour démâtages d'autres pour renoncements liés aux difficultés psychologiques d'une telle aventure. Deux fois sur le podium du Vendée Globe, VDH boucle là son sixième tour du monde en solitaire, dont un "à l'envers" c'est-à-dire face aux vents dominants, en 2004, pulvérisant le record. Il a doublé dix fois en solitaire le Cap Horn ; il peut donc allègrement cracher face au vent. Avec son mètre 90 et ses 90 kilos, barbe blanche à l'image du Vieil homme et la mer d'Hemingway, il a déclaré à l'arrivée, devant une forêt de micros et de caméras : "À 73 ans, je pense qu'on a encore de beaux jours devant soi...". Cette manie des marins de faire des phrases...
En 1968, le Golden Globe Challenge, course lancée par le Sunday Times à l'initiative de Sir Francis Chichester, fut la première course autour du monde à la voile sans escale. S'il y eut bien un vainqueur, le ketch Suhaili de Robin Knox-Johnston, seul des neuf partants à revenir à bon port après 313 jours de mer sans toucher terre, on se souvient aussi de la course pour le coup d'éclat du marin français Bernard Moitessier. Alors qu'il entamait la remontée de l'Atlantique après avoir doublé en tête le Cap Horn sur Joshua, il mit cap sur Bonne Espérance où il catapulta sur le pont d'un cargo un message : « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme ». Il continua donc sa route vers l'est traversant à nouveau l'Océan Indien et doublant une seconde fois cap Lewin. Il mit sac à terre à Tahiti après 300 jours de mer, le 21 juin 1969 (il était parti de Plymouth en Angleterre le 22 août 1968). Il racontera sa vie de "vagabond des mers du sud" dans un célèbre livre, La Longue route, un petit bijou de récit de voyage qui se déguste comme un bon vieux cognac dans un fauteuil club au coin du feu.
Cet événement - car c'en est un, vraiment - est passé inaperçu le 29 janvier dernier, sous la pluie froide de l'hiver aux Sables-d'Olonne, et c'est bien dommage. L'exploit de Jean-Luc Van Den Heede est à la hauteur des enjeux climatiques actuels. On ne va pas les re-lister ici, citons seulement les dernières "bonnes nouvelles" en date : l'effondrement progressif, massif et irrémédiable de l'Antarctique ouest, qui devrait faire monter le niveau des mers d'environ 3 mètres, à horizon des 50 ou 100 prochaines années. Avec les conséquences qu'on imagine sans trop de peine. Et puis tout le reste...
L'arrivée de VDH après ce tour du monde à l'ancienne, sans GPS ni Wifi ni rien de tout ce qui accompagne nos vies quotidiennes désormais et dont on a bien du mal à se passer, noyée dans le fatras de la crise existentialiste franco-française, du merdier géopolitique mondial et enfumé par les barbecues de merguez des ronds-points gilets-jaunes, est passée à la trappe. Sauf pour une poignée de dingos - dont je suis - qui s'intéressent encore à ces défis aussi impossibles (en apparence) qu'inutiles (ils ne le sont pas).
VDH est un type épatant : « Autant j’aime les défis et être en mer, autant la solitude me pèse, dit-il à Libération dans un beau portrait le 1er février dernier. Nous étions six bateaux identiques au départ (sur 17), et je pensais que nous allions naviguer groupés. Après l’Atlantique, je me suis retrouvé complètement seul. J’ai traversé l’océan Indien puis le Pacifique sans rencontrer quiconque, sans échanger avec mes concurrents. C’est en virant le cap Horn que j’ai enfin pu papoter avec le gardien du phare par VHF ». Il avait embarqué pas mal de livres - Moitessier naturellement mais aussi Tabarly - et c'est finalement les deux dernières années du Canard Enchaîné qu'il a lu, pour le plaisir de regarder l'actualité avec un sérieux recul...
On a juste envie de lui dire merci. Il paraît que, autrefois professeur de mathématiques à Lorient, il parvenait à faire aimer la matière même aux plus récalcitrants. On en vient à se demander s'il n'arriverait pas à donner le pied marin à des terriens embarqués malgré eux sur un voilier de 12 mètres, pour plus de 200 jours de mer, sans autre compagnie que quelques albatros, "vastes oiseaux des mers, qui suivent, indolents compagnons de voyage, le navire glissant sur des gouffres amers"...
F.S.
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