Sylvain Tesson, Les Chemins noirs
25 Janvier 2017 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature
Le dernier livre de Sylvain Tesson entraine le lecteur sur des chemins jusqu’ici inconnus – ou presque – de l’écrivain voyageur baroudeur, plus adepte des grandes steppes asiatiques ou des bords du lac Baïkal en Sibérie. De la frontière italienne au Cotentin, en passant par le Massif-Central, les Marches et la Touraine, cette singulière randonnée thérapeutique n’emprunte jamais, ou presque, le goudron des routes. Une « épopée » qu’il décrit avec le style qu’on lui connait, et une part de sincérité jusqu’alors bien cachée.
Et dire qu’il aura fallu cette chute malheureuse d’un toit chez son ami Jean-Christophe Rufin en août 2014 pour que Sylvain Tesson devienne enfin lui-même ! Huit mètres de vide depuis la gouttière de cette maison savoyarde, pari idiot après un déjeuner bien arrosé – comme il se doit avec le plus russophile écrivain baroudeur – qui l’a conduit directement sur un lit d’hôpital pendant un an. D’abord complètement paralysé, il retrouve ensuite une partie de l’usage de son corps (la moitié à peu près, tout en perdant un œil et une oreille dans la bataille) qu’il a si souvent mise à rude épreuve : « Je regretterais longtemps cette chute parce que je disposais jusqu’alors d’une machine physique qui m’autorisait à vivre en surchauffe », dit-il avec lucidité au début de Sur les Chemins noirs, sorti chez Gallimard en septembre dernier.
« Corseté dans un lit, je m’étais dit à voix presque haute : si je m’en sors, je traverse la France à pied. Je m’étais vu sur les chemins de pierre ! J’avais rêvé aux bivouacs, je m’étais imaginé fendre les herbes d’un pas de chemineau. Le rêve s’évanouissait toujours quand la porte s’ouvrait : c’était l’heure de la compote». Un médecin lui avait dit : « L’été prochain, vous pourrez séjourner dans un centre de rééducation ». C’en était trop pour celui qui a toujours préféré le confort relatif et sommaire des bivouacs improvisés sous un arbre ou au bord d’une falaise que dans les draps secs et propres d’un palace moscovite.
Pari tenu, et le jour de la saint Barthélémy 2015 (le 24 août) le voici qui s’élance, à pas lents, de la frontière italienne au bord du Mercantour, avec pour obsession le nord et le Cotentin, « ce bras que tendait la France sous le ciel pour s’apercevoir qu’il pleuvait », jusqu’au cap de la Hague. Entre les deux : deux mois et demi de marche à travers la France « hyper-rurale » comme le décrit un rapport dédié à cette France enclavée, ignorée, oubliée. « Loin des routes, il existe une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée de l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie ».
Commence alors pour lui cette lente remontée, tantôt en solitaire, tantôt accompagné d’amis taillés dans le même bois que lui, plus habitués aussi à planter leur sac et bivouac entre Oulan-Bator et Valparaiso, à prendre des bitures à la vodka au fin fond de cabanes sibériennes par moins trente degré dehors (mais quarante degrés dans la bouteille…). « Les médecins, dans leur vocabulaire d’agents du Politburo, recommandait de se rééduquer. Se rééduquer ? Cela commençait par ficher le camp ».
Il en ressort un livre singulier – c’est quand même à chaque fois sa marque de fabrique – où l’on retrouve tout de même le « style Tesson », fait d’observations et de descriptions imagées de ce qu’il voit, entend, ressent, rencontre. Mais aussi un livre profond et teinté de la sincérité qui lui a peut-être manquée jusqu’ici, excepté Dans les forêts de Sibérie où il racontait ses six mois d’hiver passés dans une cabane au bord du Lac Baïkal gelé en 2010, jusqu’à la fonte des glaces et neiges. On l’avait senti proche de la corde sensible, ce qui manquait jusqu’alors à cette « machine » baroudeuse aux limites permanentes de l’exploit et de la satisfaction de l’ego.
Est-ce parce quelques mois avant sa funeste chute sa mère était morte, « comme elle avait vécu, faisant faux bond, et moi, pris de boisson, je m’étais cassé la gueule d’un toit où je faisais le pitre » ? Peut-être. Sans doute. Très probablement. « J’étais tombé du rebord de la nuit, m’étais écrasé sur la terre ». Nous y voilà. A force de l’avoir arpentée en tous sens – y compris les plus improbables et extraordinaires – Sylvain Tesson avait peut-être oublié, ou feint de l’ignorer, que le corps d’un homme contient aussi un cœur. Avant et après Sur les Chemins noirs, il n’est plus tout à fait le même. On s’en doutait, mais il y a mieux : désormais, il le dit, et l’écrit.
F.S.
Sur les Chemins noirs, Sylvain Tesson. Gallimard septembre 2016.
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