J’avais dormi dans un hôtel à Châteauroux. Un hôtel à Châteauroux ! (sic)
22 Janvier 2017 , Rédigé par F.S Publié dans #littérature
Le 11 octobre, l’Indre
Les heures passèrent dans les forêts de la zone centrale. Suivre les chemins noirs consistait ici à relier les ilots de la vieille selve gauloise dont il subsistait des récifs heureux. Sous les nefs neigeaient les larmes jaunes. L’air sentait la mousse et le mystère humide. Je croisais des cavaliers, des cervidés, et des chasseurs qu’une science acquise en vue de l’obtention du permis de chasse avait doté de la capacité à ne pas confondre les premiers et les seconds. Entre deux bois, je lançais mes cris d’amour aux vaches et j’obtenais parfois un long meuh en réponse.
A Sainte-Sévère, je lus la presse dans un soleil huileux. Les nouvelles du monde n’étaient pas pires que d’habitude. Après tout, quand Attila avait débarqué avec les Huns sur les rives de la Loire, la situation n’avait pas dû être plus enviable qu’aujourd’hui.
A Ardennes, l’Indre coulait lentement, puissante, tachetée de feuilles d’or. L’automne commençait à couvrir les rivières de motifs léopards. La contemplation du courant me traversait de souvenirs paisibles. Les rivières ont-elles la nostalgie de leur source ?
Je trouvai un bar en sortant du village où je demandais mon bouillon.
- Vous allez où ? dit la patronne.
- A Châteauroux, à pied.
- C’est loin, ne prenez pas de viandox, cela endort.
- Quoi alors ?
- Une bière.
- Pas le droit, dis-je. La médecine.
Et je pensais que j’aurais bien aimé me jeter quelques verres de vin blanc pour sentir grandir en moi un vide amical. Je me serais appuyé au zinc et j’aurais regardé mes pensées prendre corps et devenir des petits personnages de carnaval. J’aurais conversé avec mes voisins de comptoir, ils seraient devenus mes frères de sang puisque notre sang aurait été irrigué des mêmes composants. L’eau minérale et le viandox me privaient de cette fraternité. L’un des buveurs voulut bien me donner un conseil malgré tout :
- Buvez quand même ! Et prenez l’autobus !
Le 12 octobre, dans la Champagne de Châteauroux
J’avais dormi dans un hôtel à Châteauroux. Un hôtel à Châteauroux ! Cette phrase me rappelait vaguement la didascalie d’un vaudeville et la simple évocation de cet épisode me ferait désormais penser que j’étais devenu un bourgeois de Labiche.
A l’aube, mon ami Thomas Goisque arriva à la gare, chargé de son sac, et nous quittâmes la ville sur-le-champ, par les bords de l’Indre, et une enfilade de quartiers vides. (…)
- Mon vieux ! Les temps ont changé, dis-je.
- Pourquoi cela ?
- Dix ans, tous les deux, entre Kaboul et Katmandou, pour finir à Châteauroux : quel désastre !
Sylvain Tesson, Les Chemins noirs. Gallimard 2016.
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