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Le jour. D'après fred sabourin

Fulgence, « the teacher » au camp du Basroch

19 Février 2016 , Rédigé par F.S Publié dans #Presse book

Dans le camp du Basroch à Grande-Synthe, un homme debout les deux pieds dans la boue du cloaque tente de tirer les enfants de migrants vers le haut. Avec une école.

- l'école du Basroch, à Grande-Synthe -

- l'école du Basroch, à Grande-Synthe -

A Grande-Synthe, dans la banlieue de Dunkerque, le quartier porte le nom de « Basroch ». Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est son vrai nom. Là, entre un éco-quartier tout neuf, Jardiland et Décathlon, jouxtant un stade de foot, un terrain marécageux. Un cloaque indescriptible. Une décharge à ciel ouvert. A chaque pas, il faut arracher littéralement ses bottes à 30 cm de boue, d’ordures, de couvertures et de matelas gorgés d’eau. Là sont plantées – on devrait plutôt dire qu’elles y flottent – des tentes Quechua consolidées par des bâches. La gale, la grippe, la rougeole, se disputent le haut du tableau. Au milieu de ce chaos innommable, une tente kaki sur laquelle on peut lire : école - school. Entre deux chemins fait de palettes boueuses, un homme à la tignasse rouquine parsemé de cheveux gris-blancs, émerge. C’est Benoît Cuchet, alias Fulgence, mais beaucoup l’appellent ici « the teacher ».

Fulgence, « the teacher » au camp du Basroch

Fulgence vient à l’origine de l’abbaye bénédictine Saint-Georges, à Saint-Martin-des-Bois, dans le Loir-et-Cher. Mais il n’était pas du genre à rester les deux pieds dans la même sandale : il a pris l’air depuis longtemps, pour étudier à Oxford tout d’abord puis à l’Ecole biblique de Jérusalem, passé cinq ans à Gaza, à faire de l’éducation dans les camps palestiniens, entre deux attentats terroristes. Il est ensuite rentré en France… en vélo, tout simplement. L’urgence l’a rattrapé, et déposé là, à Grande-Synthe, camp de migrants passé en quelques semaines de 80 personnes (depuis 2006) à environ 2.500, à l’automne dernier, entre fin septembre et fin novembre. « Mais on est retombé à 1.200 », dit-il comme si cela changeait la donne : ceux qui sont partis n’ont pas emporté la boue avec eux. « Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Pour moi la question essentielle est ‘qui est mon prochain ?’ Il est ici, je dois y être aussi. » En attendant que le camp de réfugiés avec grandes tentes, toilettes et douches, construit sur un terrain communal par MSF puisse être vraiment opérationnel (fin mars, si tout va bien), il faut survivre ici. « Il y a eu jusqu’à 200 enfants, majoritairement des Kurdes irakiens, qui ont fuit les persécutions de Daesh ». Comme pour défier le chaos, le camp est organisé en deux parties : les familles d’un côté, les hommes seuls de l’autre. Parmi eux, un certain nombre de mineurs isolés, dont beaucoup de bénévoles associatifs se demandent ce qu’ils vont devenir. Tous espèrent encore pouvoir passer en Angleterre, mais l’espoir est aussi faible que le prix est fort : environ 10.000 € demandés par des passeurs sans états d'âmes, qui font régner la loi sur le camp, et dont le nom ne se prononce jamais..

 

 
- Benoît, alias Fulgence, dans la yourte construite de ses mains et chauffée par un poêle de récupération -

- Benoît, alias Fulgence, dans la yourte construite de ses mains et chauffée par un poêle de récupération -

Obnubilé par l’éducation, « seul moyen d’humaniser un peu cette désespérance » se lamente Fulgence, il a ouvert une petite école au centre du camp, aussitôt arrivé sur place, en décembre dernier. « Une vingtaine d’enfants viennent tous les jours – sauf le vendredi – prendre des cours de français, d’anglais, dispensés par Rory, un Irlandais rencontré pendant mes études à Oxford, et un autre prof venu nous aider ». Et lui aussi, bien sûr. Au départ, il a utilisé une yourte qui servait de salle de récréation pour les enfants dont on se doute bien que la place n’est pas vraiment d’être dans cette décharge à ciel ouvert. « J’ai construit une autre école avec une grande tente, que la tempête a arrachée il y a quelques semaines. On reconstruit, je dois installer des palettes pour rendre le sol plus convenable. En attendant, on a commencé, on écrit sur tout ce qu’on peut trouver ». Accrochées sur un fil, des feuilles grand format avec des chiffres, et des dessins pour apprendre à compter. Les associations AFEV (lutte contre les inégalités) et la britannique Edlumino (aide par l’éducation) étaient déjà sur le coup, « mais l’idée était aussi d’y intégrer des adultes » ajoute Fulgence. « Les classes sont de tous les niveaux, la plupart des enfants ne sont pas scolarisés depuis deux ans ». Quarante kilomètres plus loin, dans la « jungle » de Calais, l’école laïque du Chemin des Dunes est ouverte depuis juillet 2015, dans la zone sud en cours de démantèlement. Elle s’est développée grâce à Virginie Tiberghien, bénévole et orthophoniste de profession qui la coordonne, et depuis début février une trentaine de bénévoles accueillent chaque jour une vingtaine d’enfants : Kurdes, Soudanais, Syriens, Afghans, Irakiens, Iraniens… Deux heures de français et un support en anglais. « A Grande-Synthe il n’y avait rien. Quand on pense caritatif, on se préoccupe d’abord d’un toit, de la nourriture, de quoi se chauffer etc. D’ailleurs ça vient assez vite et ça marche assez bien. On ne pense jamais à l’école, alors que c’est un droit prioritaire en Europe », et même une obligation en France pour les 6-16 ans.

 

- Distribution de soupe près des tentes où sont abritées des familles kurdes -

- Distribution de soupe près des tentes où sont abritées des familles kurdes -

Dans le futur camp de réfugiés qui ouvrira le long de l’autoroute A16, Fulgence travaille déjà à l’installation de l’école. « Je souhaite qu’elle soit au centre du camp», dit-il. « Avec l’école, on créé une dynamique de village. On humanise le début d’une possible intégration de ceux qui ne rejoindront jamais l’Angleterre » ajoute-t-il avec conviction. On le suit jusque dans une grande tente en forme de chapiteau, où vit une famille kurde avec deux enfants, et Souan, la mère, est enceinte de cinq mois. Sur un cahier d’écolier, pendant que le thé chaud coule dans les verres, la petite Maïli, quatre ans, écrit sans mot dire sur un cahier d’écolier : « maman » en lettres capitales.

L’éducation fait tenir debout dans la boue. Et Fulgence part dans un grand rire qui déchire le chaos du « Basroch ». Le teacher est ici connu et apprécié de tous, car il redonne de la dignité aux naufragés de cet enfer à ciel ouvert, sur lequel s’abat une pluie glaciale alors que le soir tombe et sera le gage d’une nouvelle nuit horrible pour les plus vulnérables.  

 

F.S

 

Ceci est une ébauche d'un article qui cherche un débouché dans un média potentiellement intéressé. Il peut être retravaillé, raccourci au besoin et illustré par d'autres photos. Contactez-moi si vous êtes intéressé ou si vous avez un contact potentiellement intéressant. 

Fulgence, « the teacher » au camp du Basroch
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Fulgence, « the teacher » au camp du Basroch
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